Pic Pétrolier, écologie mainstream : limites et utopie
Ce que je vais appeler "l'écologie mainstream" gagne du terrain en France. Mon environnement Facebook de jeune ingénieur fait que j'ai pu croiser quantité de profils d'étudiants s'affichant avec des "manifestes étudiant pour l'écologie", des vidéos youtube qui attaque l'Etat pour l'urgence climatique, j'ai pu voir moult camarades prendre l'avion pour étudier les énergies renouvelables à l'étranger, et j'ai pu voir la popularité de Jancovici dans ce milieu, personnage que je ne connais que de loin je l'avoue.
Caractéristiques de l'écologie mainstream
Ce que j'appelle écologie mainstream, pour la décrire rapidement, c'est notamment celle des partis écolos. C'est l'écologie qui parle de CO2, qui promeut les énergies renouvelables, les pistes cyclables, le régime végan, ne veut pas se reproduire, aime les migrants et le quinoa. Elle rêve de croissance verte, de taxe carbone. Elle est mondialiste et fait barrage à la haine. Elle n'aime pas la chasse ni le patriarcat. Elle s'imagine un futur utopique où l'on vivra à 12 milliards sans polluer et sans élevage, avec des éoliennes et des voitures électriques, chacun se tenant par la main, le sourire aux lèvres.
Peak Oil, Limits to Growth
Mes récents errements sur le net, chez l'excellent Metanomad, ou chez Chad Haag, dans la continuité de mes recherches sur l'accelerationisme de Nick Land et des écrits de Ted Kaczynski (sérieusement, lisez le manifeste), m'ont permis de découvrir une autre facette de l'écologie. Le pic pétrolier. La fin du pétrole était quelque chose que j'avais vaguement en tête, mais je n'en connaissais pas vraiment les enjeux et les détails techniques, et en bon libéral, j'évacuais la question. Le pic pétrolier, peak oil in english, est assez différent de l'écologie mainstream. Il est totalement possible de parler de peak oil et de nier le réchauffement climatique anthropique. L'écologie mainstream tend à fantasmer une croissance verte à base d'éolienne. Le peak oil, c'est la fin des haricots, la fin de la croissance économique. Ce n'est pas vraiment la décroissance heureuse non plus. Non, ce n'est pas vraiment heureux non.
Fin du pétrole
Les sources de pétrole ont une courbe comme suis :
La production augmente dans un premier temps du fait de l'intensification d'investissement en forage, pour suivre la demande. Une fois le maximum atteint, la production décroit ensuite, jusqu'à vider la source. Globalement, la Terre peut être vue comme une réserve géante de pétrole, qui suivrait donc cette même courbe. Le pic pétrolier n'est pas le moment où l'on a vidé la réserve, mais le moment où la production commence à décroitre. Et c'est à partir de ce point que les problèmes peuvent commencer à apparaitre, bien avant d'avoir épuiser les réserves. "Il reste la moitié des réserves à exploiter" n'est pas une annonce optimiste mais une prédiction apocalyptique ou presque.
A l'échelle mondiale, la production augmente dans un premier temps du fait de découvertes de nouveaux gisements et de l'amélioration des techniques d'extraction. Cependant, les nouveaux gisements sont limités, et l'on extrait d'abord les gisements les plus accessibles, avant de s'attaquer à des gisements plus complexes et moins rentables.
La découverte de nouveaux gisements non-conventionnels diminue également :
EROI
Problème supplémentaire : le pétrole ne s'extrait pas par magie. Si les premiers gisements découverts pouvaient être amorcés avec du labeur humain, à l'heure actuelle, on utilise de l'énergie (probablement du pétrole) pour extraire du pétrole. Ceux qui comprennent l'économie comprennent la notion de Retour Sur Investissement (ROI), ratio de l'argent obtenu sur l'argent investi. Le EROI, c'est le ratio de l'énergie obtenue sur l'énergie utilisée pour l'extraction. En 1920, le EROI était de 100/1 : 100 barils obtenus pour 1 baril utilisé. Actuellement ? Aux alentours de 3/1, 3 barils obtenus pour 1 utilisé. La conséquence évidente est que le pétrole est moins profitable, et donc que son prix pourrait monter. La production diminue.
Pétrole et croissance
Le pétrole et la croissance économique sont fortement liés. En effet, le pétrole reste la source d'énergie principale pour le transport, une donnée importante dans une économie mondialisée. Encore une fois, les travaux de Jancovici montrent un lien très fort.
Il n'est cependant pas le premier à étudier l'interaction entre ressources et économie. Le célèbre rapport Meadows, paru en 1972, sous le titre Limits to growth, dont s'est également inspiré John Michael Greer pour son effondrement catabolique, avait déjà alerté sur le problème.
Le pétrole est partout dans notre économie. Le tableau suivant est un copié-collé de celui de Metanomad.
On voit ici qu'outre le contenu de nos réservoirs d'essence, une quantité énorme d'objets du quotidien sont en danger. Et pas seulement. Le pétrole est également utilisé en agriculture. Tracteurs, engrais, pesticides... Pour une calorie de nourriture consommée, il faut dépenser 10 calories pour la produire.
Le pétrole est la colonne vertébrale de nos économie. Le pétrole a plusieurs avantages uniques : versatilité, énergie, stockage, transport, stabilité.
Snake oil
L'expression anglaise "snake oil" signifie arnaque marketing. C'est aussi le titre du livre de Richard Heinberg sur le Pétrole de Schiste, la star des dernières années aux USA (le pétrole, pas Heinberg). Le Pétrole de schiste, des réserves énormes, le marché est inondé, adieu le pic pétrolier. Ou pas. D'une part, le pétrole de schiste est aussi en quantité limité. Mais surtout, il est très cher à obtenir, via le procédé de fracking très couteux. Heinberg explique que le EROI du pétrole de schiste est très bas (de l'ordre de 3), plus tous les problèmes de pollution liés au fracking.
Les gisements de pétrole de schistes sont vite exploités comparés aux gisements conventionnels.
Le pétrole de schiste ne serait pas profitable, c'est ce qu'affirme également Greer. Ajoutez à cela la pollution et le coût en eau, et l'industrie devient très discutable.
Dates
L'exercice le plus difficile et dangereux est celui de la prédiction. Et les "amateurs" de pic pétrolier sont généralement bien obligés de dater la chose. Beaucoup placent le pic pétrolier conventionnel pour 2006 (certains argumentent que ce pic serait à l'origine de la crise financière quelques années plus tard). Le pic total est repoussé du fait du pétrole de schiste, mais les récents évènements pourraient précipiter le pic à... Maintenant. En effet, la crise Covid a affaiblit les investissements de l'industrie et fragilisé certaines entreprises, la production devrait être en deçà de ce qui était initialement espéré.
Beaucoup s'amusent des prédictions apocalyptiques souvent fausses. Ils oublient leur pendant optimiste, à base de prédictions de voyages spatiaux, d'overboards, de virus éradiqués. La plupart des futurologues optimistes se sont autant trompés que les catastrophistes.
Après le pic
Après le pic, la croissance sera en berne, maintenue artificiellement par les états et banques centrales, avec des statistiques truquées. Le chômage sera élevé et augmentera. D'après Piero San Giorgio, les taux de dépression et suicide vont s'envoler. La nourriture devrait venir à manquer comme prédit par le rapport Meadows, la population va se contracter. Jancovici prédit des cycles économiques de plus en plus courts, Greer prédit de longs plateaux ponctués de crises qui viendront diminuer le capital. Dmitry Orlov, familier avec les effondrements puisqu'il a vécu celui de l'URSS, s'attend à un effondrement violent aux USA, car la structure du pays diffère de celle de l'URSS. La possibilité d'un effondrement très violent ne peut être écartée, ou un scénario "convergence des catastrophes" (remarquez que j'ai peu parlé de réchauffement climatique par exemple). Hors catastrophe, à terme, tous les habitants du globe doivent s'attendre à vivre comme vivaient la plupart des gens avant la révolution industrielle.
Illusions
"Oui mais on va trouver une alternative". Formidable, mais voyons les contraintes que devra remplir l'alternative fantasmée :
Haut EROI
Indépendante du pétrole
Dense en énergie
Produits dérivés du pétrole substituables
Alternative trouvée et mise en place AVANT la catastrophe
Pour les énergies renouvelables, Jancovici en parlera bien mieux que moi. Pour le nucléaire, c'est sympa mais ça produit ni plastique, ni routes, et n'est pas renouvelable.
Il semble donc qu'il faille dire adieu aux rêves de croissance verte de l'écologie mainstream, d'utopie végane...
Au passage, j'ajouterai que le pétrole n'est pas la seule ressource épuisable dont on va manquer.
Anticiper ?
Il est peu probable que les gouvernements ou le secteur privé anticipent cela. L'humain a ses défauts et l'un d'eux est que limiter sa consommation est très difficile pour lui. Dans tous les cas, le pic est inévitable, donc la question se pose : que faire puisque c'est inévitable ?
A l'échelle individuelle en revanche, il est probablement possible de s'y préparer. Par exemple, la solution proposée par Greer. Des gens comme Piero San Giorgio prônent ce qui pourrait être appelé le "survivalisme" (ce qui n'implique pas forcément de se regrouper entre néo-nazis dans des bunkers surarmés, n'en déplaisent aux journalistes).
Sources et approfondissements
http://www.mansoorkhan.net/Mansoor's%20Book/Energetics_&_Economics.html
https://jancovici.com/category/transition-energetique/petrole/