The modern mindset and its consequences have been a disaster for man’s freedom.
To repeat, modernity isn’t material, it’s a mindset.
Only ever freedom, Meta-Nomad/James Ellis
Le jour moyen
Il est possible, probable même, que vous vous reconnaissiez dans le portrait qui s’ensuit. Vos journées démarrent au son strident du réveil, s’ensuit vos ronchonnements. Rien que se réveiller fait chier. Le reste de la journée, de la semaine, se répète, se ressemble, s’agrégeant dans une masse informe, une tumeur sur votre existence.
Pourquoi ne sommes-nous pas heureux alors que tout va bien ? Pourquoi après avoir suivi à la lettre le manuel de la personne normale, après avoir acheté un pavillon, une voiture moderne, un lave-vaisselle… ne sommes-nous toujours pas content ? Pourquoi nous évertuons-nous de continuer dans une existence qui nous rend misérable ?
Après être péniblement sorti du lit, les membres raides, les yeux lourds, le cerveau embrumé, mort-vivant en autopilote vers la machine à café, la porte de la voiture claque, cette voiture dont vous avez besoin pour aller travailler, de longues minutes, heures, années, passées derrière un volant, à pester contre les autres morts-vivants dans leur cercueil mobile en métal.
Vous saluez rapidement vos collègues, et la journée de labeur commence. Clic gauche, clic droit, l’essentiel de la journée consiste à avoir l’air occupé derrière son écran, l’air enjoué ou motivé en réunion. La fameuse culture d’entreprise ici consiste principalement à rester le plus longtemps possible pour être bien vu, en ne faisant rien. Vous avez rapidement remarqué que pour être promu, il ne faut pas travailler dur, mais avoir l’air.
Vous rentrez chez vous, étrangement fatigué malgré la vacuité de votre journée de “travail”. Sans énergie pour quoi que ce soit, vous commandez à manger, allumez la TV ou Youtube, scrollez à l’infini… Vous pensez aux prochaines vacances, au prochain week-end…
Il n’est pas nécessaire que ce portrait soit universel, il lui suffit d’être suffisant.
Ellis et la Modernité
Quelques mots sur l’auteur du livre : James Ellis est anglais, chauve, plus connu sur la toile sous son pseudo Meta-Nomad. Il tient le podcast Hermitix, dans lequel il donne la parole soit à des professeurs d’université peu connus, soit à des gens qui fournissent un travail philosophique en dehors du système académique. James est diplômé d’un master en philosophie continentale, il était spécialisé sur l’accelerationisme, dont il a fourni une variante, le z/acc ou zero-accelerationism. Il a publié plusieurs livres, dont Exiting Modernity, A Methodology of Possession: On the Philosophy of Nick Land, et Only Ever Freedom dont nous parlons ici.
L’un des principaux sujets de James est la Modernité, qu’il décrit et critique abondamment. Mais qu’est-ce que cette Modernité ?
Pour James Ellis, la Modernité n’est pas matérielle. Il faut comprendre ici que la Modernité qu’il décrit n’est pas vraiment liée à notre avancement technologique, elle ne se définit pas par la découverte de la poudre, du charbon ou du pétrole. Au contraire, comme l’explique la citation inaugurale de cet article, la Modernité serait une disposition de l’esprit, une sorte de parasite mental qui a infiltré la majorité d’entre nous. Elle va au-delà du consumérisme, qu’elle inclut, mais n’est pas que le consumérisme. Il faut également préciser que James n’est pas un marxiste ou un anarchiste de gauche, ni anti-capitaliste, au contraire, il soustrait plutôt à l’école autrichienne d’économie et cite Hans Hermann Hoppe.
Nous devons, pour commencer à comprendre cette Modernité, d’abord parler de l’École.
Indoctrination
La Modernité trouve son origine dans l’instruction obligatoire étatique. Ellis s’appuie en particulier sur Ivan Illich et son livre Une Société sans école pour expliquer le problème. L’école obligatoire n’est pas la même chose que l’instruction ou l’éducation, car ces deux choses existaient avant l’école obligatoire, et cette dernière ne produit les deux premiers que marginalement. Le fait que vous sachiez quand est né Louis XIV en sortant du collège n’est pas important, l’important est que vous sortiez du collège avec votre Brevet. Pour preuve, vous avez sans doute déjà oublié la majorité de ce que vous y avez appris (je ne sais pas par coeur quand Louis XIV est né, d’ailleurs). Mais avoir ces diplômes vous sera tout de même demandé pour tout un tas de chose.
Votre futur employeur vous demandera votre diplôme d’ingénieur, mais ne vérifiera pas si vous savez calculer une poutre en flexion. Si vous savez calculer cela parce que vous l’avez lu dans un livre au lieu d’aller à Polytech’, vous ne serez pas retenu pour le job. Mais donc, si le diplôme ne prouve pas que vous avez les connaissances, que montre-t-il ?
Lecteur, vous êtes sans doute adulte, essayez de vous remémorer comment cet endoctrinement fonctionnait ? Rappelez-vous, il fallait lever le doigt pour parler, rester silencieux pendant des heures devant des tableaux noirs qui ne vous intéressaient pas, et même demander pour aller aux toilettes. Les horaires pour manger étaient contrôlés, et il était interdit de grignoter en cours. Un adulte, qui portait un titre, celui d’instituteur ou de professeur, vous expliquait ce que vous devez faire, ce que vous devez penser. Je me rappelle même que jusqu’au lycée, les professeurs contrôlaient comment vous écriviez vos cours : “titre en rouge, chapitre en vert, soulignez en bleu etc.” Ces professeurs vous ont dit de ne pas aller en bac pro, d’aller en S car vous étiez bon élève, malgré votre amour des lettres. Ils vous ont aussi dit que le racisme c’est mal, qu’il faut aider les pauvres et croire en la science.
Qu’est-ce que ceci, sinon un lent processus insidieux de mise en esclavage ? Quel être vil et misérable doit demander pour faire pipi ? Ce diplôme, c’est la preuve que vous êtes un bon esclave. Il y a une certaine justesse dans cette phrase pleine de ressentiment : “vous n’êtes pas intelligent, vous êtes éduqué.”
Cela va encore au-delà, car l’école possède un vice existentiel, dans sa justification et son processus. J’étudie pour avoir de bonnes notes, la bonne note devient l’objectif. Mais à quoi sert la bonne note ? Obtenir un diplôme. Mais à quoi sert le diplôme ? Obtenir un emploi, une carrière. Or on vient d’expliquer en quoi c’est un très mauvais proxy pour la compétence ou le savoir. L’école s’est auto-justifiée en imposant les diplômes et les titres. Cette logique perverse inonde toute la Modernité : un fait est scientifique ou vrai s’il est émis par un scientifique. Un scientifique est quelqu’un qui a le titre, diplôme de scientifique. Ce titre de scientifique, ce scientifique institutionnel et académiquement sanctionné, est une invention très récente, moderne. Autrefois, un individu faisait de la science comme je pourrais faire du piano, pour s’amuser, s’occuper. Il n’y avait pas de carrière, Newton faisait des études expérimentales dans son temps libre, pour s’occuper. Bien des avancées et découvertes se sont faites en dehors des académies.
Pour revenir à l’individu scolarisé, il est mis dans une situation de précarité intellectuelle : l’école lui enseigne que pour s’éduquer, il faut écouter un professeur. Et l’école s’est donné le monopole de cela, il suffit de dire qu’une majorité des pays occidentaux interdisent ou encadrent très fortement l’éducation à la maison, dont le nôtre. Comme le crédo catholique, hors de l’école, point d’éducation. Le sujet scolarisé finit donc par intérioriser qu’il n’y a pas d’autre façon de s’instruire, de s’éduquer, d’apprendre. Malgré internet, les autodidactes restent une espèce très rare.
Passons à la suite : obtenir un emploi, pour quoi ?
Le nerf de la guerre
L’argent. L’argent, comme l’école, est un objet vicieux et tautologique. Loin de moi ou de James Ellis l’idée de vouloir spécifiquement professer l’ascétisme ou le marxisme, la haine du luxe ou des riches. Mais l’argent est un outil, un moyen. L’argent est une information, en réalité, une donnée. Comme l’école, la justification de l’argent est bancale : l’un veut plus d’argent, pour quoi ? Pour acheter plus de trucs. Acheter plus de trucs, pour quoi ?
On peut observer ce phénomène étrange en surfant sur la toile : on peut trouver pléthore de vidéos “comment gagner rapidement un million d’euros”, mais aucune vidéo “que faire d’un million d’euros ?”, “pourquoi devenir riche ?”.
Nous devons parler du consumérisme. Une fois que l’individu moyen a acquis de l’argent, du cash, de la moulaga, il l’utilise pour consommer. Pourquoi consomme-t-il ? Le sujet devient plus compliqué. Revenons au portrait du début de cet article, au jour moyen.
L’individu moyen n’est pas satisfait de son jour moyen, il en est probablement malheureux. Pendant qu’il mange son kebab, livré froid, il regarde surement la télé ou youtube. Dans les deux cas, il fera sans doute la rencontre de… La publicité.
La publicité a pour but de vous faire consommer, dépenser, casquer. Elle crée une anxiété : vous êtes malheureux, car vous n’avez pas encore acheté le produit X. Qu’est-ce que la publicité, sinon une manipulation autorisée ? Les sectes fonctionnent sur le même principe, vous êtes malheureux puisque vous n’êtes pas encore témoin de Jéhova. La publicité crée un désir, un manque qui pèse sur le sujet, et qui peut être assouvi par un achat.
L’individu moderne est un individu qui n’est jamais content : il possède toujours un désir, un désir d’achat/consommation, qui n’est pas encore contenté. Et lorsqu’il a contenté ce besoin, lorsqu’il a assouvi l’achat, il ressent certes une certaine satisfaction, mais de façon très temporaire.
Une fois que j’ai acheté le dernier I-phone, certes j’en suis content lorsque je le déballe, et je trouve plaisant de l’utiliser pendant quelques jours, mais rapidement, cette sensation de contentement s’efface. J’utilise simplement l’I-phone, sans en ressentir spécialement de bonheur. Non, maintenant, je serai content lorsque j’aurai acheté l’I-pad…
Cette boucle tautologique renferme une vilaine boucle de rétro-action positive, où l’individu moderne a toujours plus de besoins non contentés, ce qui entraine le besoin de cash. Et donc de l’emploi, de la carrière, de l’augmentation. Et donc du diplôme.
Pourtant, vous remarquez que cette boucle n’a pas de fin, et ne peut donc pas rendre content. En effet, les besoins et ces désirs sont fondamentalement différents. Vous avez besoin de boire, de manger, vous vêtir, d’un abri. Vous désirez boire du cola, manger des frites ou du caviar, porter un costume chic, une maison d’architecte. La soif peut être épanchée par un simple verre d’eau du robinet, mais le désir est différent. Le besoin est biologique, le désir est un phénomène mental, interne. Lorsque vous avez besoin de manger, vous devez manger, pour survivre. Mais le désir peut ne jamais être assouvi, ce n’est pas mortel. Vous pouvez vous passer de cola toute votre vie. Le désir peut être ignoré, et mieux, il peut ne pas exister.
Le désir est un phénomène mental interne, et vous pouvez choisir de le supprimer. Vous pouvez choisir de ne pas vouloir du cola. La Modernité n’est pas l’existence du cola, mais le désir de cola. Elle est cette multiplication potentiellement infinie de ces désirs.
La tyrannie du normal
La Modernité est une prison mentale. L’individu moderne moyen va à l’école, où ses professeurs l’orientent vers un parcours normal, afin qu’il obtienne un diplôme normal, puis une carrière normale… La Modernité ne vous interdit rarement formellement de sortir de cette normalité. Elle vous y maintiens de deux façons : elle ne vous dit pas qu’il existe une alternative, et elle vous bombarde de désirs, qui ne sont pas les votres, pour vous pousser à ne pas en sortir. Vous ne pouvez pas renoncer à la carrière, à la rat-race, si vous désirez une BMW qui vaut 4 ans de votre salaire brut. Vous ne pouvez pas sortir de cette prison mentale, si vous vous êtes endetté pour acheter une maison gigantesque (bien plus grande que ce dont vous avez besoin) ou une voiture de sport. Vous ne pouvez sortir de cette prison mentale si vous désirez une TV 4k gigantesque.
Cette prison, tant que vous n’êtes pas endetté, est une prison comme la caverne de Platon, dont la porte est ouverte. La Modernité est le processus qui vous fait désirer rester dans la prison. Cette prison est une prison, mais vous la connaissez, elle est familière. En dehors de la prison, vous ne savez pas, vous ne connaissez pas, les professeurs ne vous ont pas appris, ou bien ils vous ont dit que c’était terrible : le soleil brûle ou provoque le cancer, l’air pur est ennivrant, et l’infinie des possibles donne le tournis. Restez au chaud, dans la prison. Demain, il y a La Nouvelle Star à 21h sur la une.
Sortez de la prison, et vous devrez naviguer à vue, sans carte, ni GPS. Vous pouvez aller n’importe-où. Vous serez, et c’est insupportable, libre.
Une direction
Pour clore cet article, voici le lien vers le livre :
https://www.amazon.fr/Only-Ever-Freedom-James-Ellis-ebook/dp/B0BBD64F3F
J’espère en avoir dit suffisamment pour vous donner l’envie de lire, et assez peu pour que la lecture reste plaisante. Quelques avertissements : le livre est en anglais, le livre ne vous dit pas ce que vous devez faire, c’est justement l’intérêt, le livre n’est pas un pamphlet marxiste ou anarchiste, il est plus proche du livre de développement personnel que du manifeste communiste. Mais au lieu de vous dire de vous lever tous les matins à 4h pour faire du trading, James Ellis vous décrit la prison dans laquelle vous êtes, y compris la porte ouverte. Sur la route à prendre une fois sorti de ladite prison, vous ne trouverez presque rien, car c’est à vous de tracer cette route.
It is important not to confuse freedom with mere permissiveness.
Theodore Kaczynski
Bon voyage, lecteur.