Effondrement catabolique : introduction
L'objectif de cet article est de présenter le concept d'effondrement catabolique, une réponse apportée à la question "pourquoi et comment s'effondrent les civilisations ?". Vous avez sûrement entendu parlé de l'effondrement de l'Empire Romain, avec la date de 476 après JC. Cependant, l'effondrement de cet empire a débuté bien avant cette date, il n'y a pas eu un empire et soudain, catastrophe, plus d'empire. Il y a eu un effondrement catabolique, un processus lent et complexe.
Modèle
A un niveau très abstrait, les sociétés humaines peuvent se modéliser via 4 éléments fondamentaux :
Les Ressources (R) exploitables, mais pas encore exploitées. La quantité de fer dans le sol par exemple.
Le Capital (C) exploitable. Aussi bien le capital humain (ouvriers, scientifiques...), que le capital physique (bâtiments, outils, machines, champs).
Les déchets (W pour waste). La définition ici inclue tous les facteurs qui ont été utilisés jusqu'à ne plus être exploitables, un ouvrier trop vieux ou des outils trop abimés, des matériaux convertis en polluants, information perdue.
La Production (P), soit le processus qui transforme du capital existant et des ressources en nouveau capital. Par le biais du l'effet de rendement décroissant, lorsque les ressources diminuent, l'utilisation du capital existant pour maintenir un même niveau de production augmente radicalement.
Lors du processus de production, du nouveau capital est produit, et des déchets. Le Capital se dégrade également en déchet en dehors de la production (un chômeur qui vieillit, de la nourriture non consommée qui pourrit). Ainsi la maintenance d'un rythme de production requiert que le nouveau capital produit soit égal à la production de déchet via la production et via la dégradation du capital :
rythme stable : C(p) = W(p) + W(c)
où C(p) est le capital produit, W(p) les déchets produits et W(c) les déchets par dégradation naturelle. W(p)+W(c) donne le niveau de maintenance productive M(p). Une société croît si elle produit plus que ce niveau :
Croissance : C(p) > M(p)
En absence de limite à la croissance (limitation des ressources par exemple), ce processus de croissance s'auto-renforce, le nouveau capital est utilisé pour produire du nouveau capital qui produit du nouveau capital... C'est la phase anabolique. Pour revenir à Rome, c'est la phase d'expansion de Rome.
Limites
Ce processus reste limité par plusieurs aspects : en premier, la finitude des ressources. Chaque ressource a un rythme de rechargement, r(R), rythme auquel un nouveau stock de ressource est disponible pour la société considérée, combinaison du rythme de rechargement naturel, du rythme de découverte de nouvelles sources, et du rythme de découvertes d'alternatives, ces deux dernières diminuant à travers le temps, toujours par le biais des rendements décroissants. Les ressources ont également un rythme de consommation, d(R), par la société. Si d(R)>r(R), la ressource sera épuisée. Elle devra être remplacée par du capital existant pour maintenir le niveau de production, et la demande en capital augmente exponentiellement pendant que la ressource se rapproche de l'épuisement total. On peut en approximation utiliser la valeur de d(R)/r(R) la plus élevée comme valeur globale utilisée dans le modèle.
La seconde limitation est la production de déchets : à mesure que le capital augmente, W(c) augmente naturellement, augmentant M(p). La production augmente, et donc W(p) augmente également, et donc M(p)... Globalement, l'effet de W(c) est de faire augmenter M(p) plus vite que C(p). Si W(p) et W(c) ne sont pas diminués, M(p) va augmenter jusqu'à mettre un terme au cycle anabolique.
Lorsque le cycle anabolique est terminé, les sociétés ont deux choix : maintenir C(p)=M(p), le rythme stable, et d(R)<r(R), la non-déplétion des ressources, via un contrôle social très dur (on peut par exemple penser aux politiques de limitation de la natalité, aux rationnements). L'autre alternative est de maintenir le cycle anabolique, par exemple via des conquêtes militaires ou des innovations technologiques, mais cela fera toujours augmenter M(p), et repousse la fin du cycle à un niveau encore plus critique.
Si les deux stratégies précédentes échouent, la société entre en cycle de contraction, le cycle catabolique :
Décroissance/récession : C(p) < M(p)
Cela peut prendre deux formes : la crise de maintenance, où d(R)<r(R) et le capital ne peut être maintenu et est détruit, réduisant la valeur de M(p). Ce processus est donc limité par nature. Il peut prendre la forme d'une réduction de population, la réduction des échelles des organisations sociales (la réduction d'un empire à de multiples féodalités). Le cycle anabolique ou la production stable peuvent ensuite être repris.
Si d(R)>r(R), on a une crise de déplétion, qui reprend les éléments de la crise de maintenance, mais amplifiés par la déplétion, laquelle augmente le besoin en capital, lequel diminue, augmentant donc le besoin en ressource : C(p) diminue plus rapidement que M(p) et la crise se perpétue en un processus auto-alimenté, c'est la crise catabolique, qui peut entrainer un effondrement catabolique, où C(p) approche 0.
Illustration
L'Empire Romain est l'exemple le plus largement connu : Rome c'est d'abord étendue via des conquêtes militaires, et transformait le capital des sociétés conquises en ressource pour Rome, augmentant largement M(p). Après le premier siècle, il ne restait principalement que des tribus germaniques avec peu de ressources, ou des empires rivaux et capables de se défendre, augmentant le coût des conquêtes et diminuant les gains. Sans le revenu des conquêtes, le coût de maintenance est devenu trop élevé. Un cycle catabolique est arrivé dès 166, l'Empire est coupé en deux en 297 par Diocletien, et l'Empire d'Occident disparaît officiellement en 476. L'empire d'Orient a survécu plus longtemps car son coût de maintenance était bien plus bas, ayant notamment moins de frontières, et plus de revenus.
Les Mayas ont également vu un effondrement, encore plus brutal : leur ressource principale était la fertilité des sols, surexploités.
La Chine impériale a également connu des crises de maintenances sur une très longues périodes, mais elle se basait sur des ressources facilement renouvelables, ces crises étaient limitées et l'effondrement n'est pas survenu
Perspectives
Maintenant que le modèle est présenté, et illustré, une question survient : dans quelle partie du cycle se trouve notre société ? Phase anabolique ou catabolique ? Quelle est notre ressource principale ? Est-elle surexploitée ? Est-elle renouvelable ? La phase catabolique, si elle arrive, sera-t-elle limitée ou sévère ?
L'intérêt de ce modèle est de présenter un effondrement qui n'est pas soudain mais graduel, progressif, cela ne signifie pas non plus indolore. Les milieux de Droite fantasment régulièrement sur un effondrement soudain, à la Guérilla d'Obertone. Certes pas impossible, mais il ne faut pas se priver d'envisager d'autres scénarios plus graduels.
Source
Cet article n'est qu'une synthèse de l'article suivant, plus complet. Si vous maitrisez l'anglais, je vous encourage à le lire.
Je vous invite fortement à lire ou écouter l'auteur, John Michael Greer. Nous aurons probablement l'occasion d'en reparler.