L’exception culturelle française
L’exception culturelle française est une expression utilisée pour caractériser certaines spécificités, actuelles ou passées, de la France par rapport aux autres pays d’Europe, voire du monde, dans le secteur de la culture.
Même si elle est beaucoup plus récente, l'expression désigne l’action conduite depuis la création en 1959 d’un ministère de la Culture confié à André Malraux, qui a vu la France mettre en place, par le biais d'un certain nombre de dispositifs législatifs et réglementaires concernant la création artistique dans le théâtre et le cinéma, d’un statut spécial pour les œuvres et la production audiovisuelles visant à les protéger des règles commerciales de libre-échange. Cette mesure repose sur l’idée que la création culturelle ne constitue pas un bien marchand comme les autres et, par conséquent, que son commerce doit être protégé par certaines règles autres que celles de la seule loi de marché1.
Dans les années 1980, sont venus s'y ajouter des prélèvements sur les chaînes de télévision pour financer le cinéma.
La page Wikipedia du dispositif que l’on appelle l’exception culturelle française est beaucoup plus intéressante que je ne m’y attendais, mais cela en dit sans doute plus sur ma léthargie intellectuelle du moment que sur Wikipédia.
La France, donc, a décidé (enfin son gouvernement) que son patrimoine culturel devait être protégé (et surtout financé). En effet, durant la deuxième moitié du XXᵉ siècle, la guerre froide faisait rage, et notamment sur le front culturel : la France, cette grande puissance, se devait de résister au soft-power américain. Il était intolérable que le Gaulois moyen se laisse aller à consommer bêtement les productions hollywoodiennes, ou qu’il écoute la pop anglaise. Il faut regarder et écouter français !
Résultat admirable, où plutôt que de se jeter sur les 50 films Avengers, Le Gaulois admire les œuvres du cinéma français, lesquelles ont un scénario très subtil comme : Christian Clavier est un cadre parisien richou et surtout raciste, il fait la connaissance d’Omar Sy, le jeune noir de banlieue en jogging et en difficulté, mais qui a un bon fond. Au début méfiant et méprisant, Christian finit par se lier d’amitié à Omar, ce dernier troquant son jogging pour un smoking. À la fin du film, ils doivent se séparer, mais les deux sont changés, Christian devient un bobo universaliste et Omar fonde une famille et obtient un emploi rangé.
Sur le plan musical, le Gaulois a été sauvé des Rolling Stones ou du jazz américain, et a le plaisir de pouvoir écouter NRJ et Funradio, lui diffusant des bijoux français de prodiges gaulois comme Jul et Niska, ou encore l’insipide courant que l’on nomme sobrement chanson française qui est une véritable réussite internationale… Ne parlons pas de la télévision… Et le tout ne coûterait que 11 milliards à la grande nation française, cocorico.
On comprend donc que ce mécanisme ne sert qu’à financer une gabegie financièrement dissipative et bureaucratique, à base de subventions culture qui vont dans les poches de clochards de luxe, en engraissant au passage des fonctionnaires trop nombreux, tout en achevant un résultat que je vais qualifier de simplement négatif d’un point de vue culturel, avec la production de films au mieux médiocres, la suprématie du rap dans le paysage musical, lequel prend d’ailleurs une pente de plus en plus affligeante de nullité, et plus précisément côté artistes, la domination des allochtones sur les ondes FM.
Elle [Françoise Benhamou, NDLR] ajoute que la démocratisation de la culture est un échec complet : si les subventions culturelles ont augmenté, ce n'est qu'au bénéfice des cadres et des professions intellectuelles. Pour Benhamou, « l'idéal de l'excellence pour tous a cédé le pas à l'idéologie sous-jacente des années Lang du rap pour tous et de l'excellence pour quelques-uns ». En d'autres termes, la politique de l'exception culturelle consacre la non-démocratisation.
Il semblerait encore que, pour la culture, comme ailleurs, l’Ignoble Etat Français soit le premier problème, le premier agent promoteur du remplacisme sous couvert de protectionnisme, cocasse.
L’exceptionnel melon français
Revenons au départ, à l’impulsion : d’où vient qu’en France, spécifiquement en France, ce type de mécanisme ait été introduit ? Qu’est-ce que cela dit de notre pays, au minimum de ses élites ? Comment a-t-on pu avoir cette idée, sans aucun doute bien intentionnée à la base ?
Cela relève, pour moi, d’un phénomène que je n’ai pas nommé, mais que je décris comme le “En France, ce n’est pas pareil”. Ce phénomène est une attitude assez généralisée en France, toujours selon moi, qui consiste à considérer que notre nation serait absolument particulière et différente des autres.
Typiquement, lorsque des libéraux discutent de l’efficacité du libéralisme, c’est-à-dire de son succès quasi universel à produire de la prospérité partout où il est appliqué, ces libéraux trouveront facilement un Gaulois pour leur rétorquer que ce libéralisme, ça ne marcherait pas en France, parce que les Français sont différents, ils ne sont pas faits pour ça, ils n’aiment pas ça etc. Et généralement, sans preuve avancée.
L’autre exemple typique est celui du parlementarisme : lorsque l’on remarque que la France est la seule nation du coin à ne pas avoir un système parlementaire comme nos cousins allemands, anglais, italiens, espagnols, etc, un Gaulois sauvage sort des buissons et argumente que ça ne marcherait pas en France, que la quatrième république était un échec lamentable du parlementarisme, surtout que les Français sont en fait nostalgiques de la monarchie et qu’ils regrettent l’horrible décapitation, alors que ces mêmes gaulois ont l’air de détester notre Président au pouvoir démesuré et ont exprimé une soif de démocratie à travers la demande du RIC des gilets jaunes ou le résultat des dernières législatives, et aussi alors que l’excellent Fabry a démontré que la France a connu une longue période de parlementarisme pendant la troisième république et que l’instabilité de la quatrième relevait du fantasme.
Tout cela me fait dire, intuitivement, qu’une part de l’identité française s’est construite à la canadienne : cela se base sur un commentaire d’un internaute américain qui expliquait comment l’identité canadienne semblait se résumer à “être les USA, mais en actuellement progressistes”, une identité par opposition. Je ne sais pas si c’est vrai pour le Canada, mais cette remarque m’a fait penser à notre nation qui me semble s’être effectivement forgé une identité par opposition.
Par exemple, si le libéralisme est souvent attribué aux anglais et américains, un peu à tort d’ailleurs car plusieurs philosophes Français y ont justement contribué, la nation française s’est, en réaction, souvent décrit plus socialiste ou étatiste. De la même façon, au moment où l’Allemagne se construisait une identité sur la primauté de la race allemande, l’identité française s’est, en réaction, décrit comme un continuum ou un patchwork, un peuple divers mais unis sous un seul drapeau, ce qui a dérivé en une pseudo-identité de lettre de motivation : est français celui qui aime la France, l’assimilation à la Française, le suicide du peuple français.
J’ai conscience et je l’avoue que ce que je décris n’est pas un exposé rigoureux mais correspond à un sentiment, une intuition, et je ne serai pas étonné de trouver facilement des contradicteurs. Mais c’est une bonne chose, car l’acier affûte l’acier.
Identité culturelle dynamique
Mon intuition précédente m’amène à développer quelques réflexions. Tout d’abord, la volonté de vouloir expliquer son patrimoine ou son identité culturelle de cette façon, est pour moi une erreur : je ne pense pas qu’il y aurait une prédisposition immuable du peuple français au socialisme ou au monarchisme, par exemple. Ceci relève de la prophétie auto-réalisatrice.
Je veux notamment m’appuyer sur les travaux de l’excellent Philippe Fabry, encore une fois. Je vous invite d’ailleurs chaudement à le suivre sur Youtube et à lire ses livres. Je vais particulièrement m’appuyer sur les idées qu’il développe dans son livre La Structure de l’Histoire.
Dans cet ouvrage, Fabry part du constat que l’idée répandue que la France et l’Angleterre ont une Histoire divergente est fausse. En effet, il est souvent remarqué que quand l’Angleterre se mue en une monarchie parlementaire, la France est une Monarchie Absolue, et que ceci serait la base de la différence d’appréciation du libéralisme et du Parlementarisme des deux peuples. Fabry montre que si l’on effectue une correction de 150 ans correspondant à la Guerre de 100 ans, les deux nations ont en réalité une Histoire très similaire.
Pour résumer rapidement, à partir d’un certain point de l’Histoire, on assiste à la montée en puissance de la monarchie centrale sur l’ancien ordre féodal, qui culmine sur la Monarchie Absolue (Henry VIII en Angleterre et Louis XIV en France), qui décline ensuite, jusqu’à l’apparition d’une phase révolutionnaire, laquelle comprend plusieurs étapes encore une fois semblables entre les deux pays, qui se termine sur une démocratie parlementaire pérenne. Puis, il montre comment ce déroulement se retrouve dans plusieurs autres nations, dont l’Allemagne, la Suède et le Danemark, la Russie, le Maroc… Avec à chaque fois des subtilités propres à chaque nation mais une trame générale largement respectée.
Alors, pourquoi la France n’est pas une démocratie parlementaire comme les autres ? Ce n’est pas expliqué dans ce livre, mais cela s’explique par deux choses : la France a été occupée par les nazis, contrairement à l’Angleterre, ce qui a mit fin à la troisième république, puis, l’apparition d’une figure que Fabry appelle un impérialiste revanchard, le général De Gaulle, qui a mit en place un régime plus autocratique avec un président plus puissant. Ce régime a évolué en sclérose, comme l’Ancien Régime, avec un président toujours plus puissant avec le temps, c’est pourquoi Fabry envisage une révolution nationale d’ici peu qui finira par ramener le pays vers le parlementarisme.
Ceci me fait donc soulever plusieurs questions insidieuses : si les Anglais sont passés de la Monarchie Absolue, comme toutes les nations étudiées par Philippe Fabry, dont la France, sont passés donc à la démocratie parlementaire, pourquoi les Français eux resteraient-ils spécifiquement attachés à cette monarchie qu’ils ont pourtant défaite comme les autres ? Si le libéralisme a pu être une source de prospérité partout où il a été appliqué, au point d’ailleurs que les deux vilains monstres ultralibéraux Thatcher et Reagan ont été réélus, pourquoi cela ne marcherait pas en France ? D’ailleurs, si le système français de protection sociale est si bien, pourquoi est-il l’exception, alors pourtant que nos voisins sont dans des démocraties plus fonctionnelles ?
L’identité des nations est le produit complexe de l’identité des individus qui la composent, et l’on peut vraisemblablement faire l’hypothèse que la première obéit a des règles qui seront semblables à celles qui régissent les secondes :
Notre identité repose alors en grande partie sur des éléments qu’on ne choisit pas, comme ses parents, son nom, son ethnie, sa culture etc. On va alors chercher à s’individuer, se différencier des autres au sein même de ce groupe afin de s’affirmer en tant qu’individu. L’identité se construit toujours en relation aux autres et l’individuation se construit en relation au groupe auquel on appartient par la naissance. Comment se différencie-t-on ? En premier lieu par nos actes. On va être celui qui est bon en sport, celui qui fait des blagues au fond de la classe, celui qui plait aux filles etc. Là aussi, on ne le choisit pas entièrement. On peut vouloir plaire aux filles sans grande réussite, auquel cas ce ne sera pas une facette de notre identité. L’identité se construit toujours au travers d’un échange avec les autres. Il en va d’un individu comme d’une nation.
L’identité est alors doublement dynamique. L’individu évolue au cours de sa vie, agit, acquiert des connaissances qui vont révéler sa personnalité et construire son identité. De la même manière, il va appartenir à un groupe plus large, une famille, une nation, une ethnie, dont l’identité va évoluer au cours du temps sur l’échelle des générations. Dans un cas comme dans l’autre, une certaine continuité va être conserver au cours du changement, maintenant une stabilité et une unité entre l’identité passée et présente.
https://rage-culture.com/lidentite-comme-produit-de-la-coevolution-gene-culture/
L’identité nationale n’est donc ni un bloc de marbre qu’il faut protéger des autres blocs de marbre, car cela n’expliquerait pas les évolutions que l’on observe à travers l’Histoire, ni une page blanche entièrement vierge, sur laquelle on peut écrire n’importe quoi. L’identité française ne peut être que le produit de l’identité des français. Si ces derniers font collectivement le choix de la démocratie et/ou du libéralisme, alors l'identité française changera. C’est ce que je crois. En un slogan, je veux une nation française exceptionnelle, pas une exception. La Terre ne tourne pas autour de la France, plutôt que de persister dans l’orgueilleuse exception, un peu d’humilité et d’alignement serait bienvenue, notamment pour nos finances publiques…